i hate you, i love you (jenna)

Dans l’ascenseur de l’immeuble huppé dans lequel elle vivait depuis longtemps déjà, elle observe les numéros défiler jusqu’à s’arrêter à l’étage correct. Depuis si longtemps, cette colocation ne lui inspirait que du bonheur et de la joie. Cette folie délicieuse que de partager son quotidien avec l’une des personnes les plus importantes de sa vie : admirer les sourires et les grimaces de Jenna jour et nuit ; pouvoir débouler n’importe quand dans sa chambre, réclamer sa compagnie, ses conseils, des sarcasmes ; l’entendre lui donner de la force ; l’entendre l’engueuler pour des choses futiles ou ses insécurités ; partager tant de choses qu’il lui semble impossible de pouvoir être séparé d’elle. Encore moins pour un garçon. Encore moins pour Julian Sanders.

La porte claquée derrière elle, elle dépose ses affaires, se déchausse, abandonne sa veste à l’entrée. Les cheveux coiffés déjà ravagés par un chignon réalisé à la va-vite. Dahlia se dirige tout droit vers la cuisine pour se faire un café frappé et ne lésine pas sur le sucre. Pensant être seule, elle se fige, soudainement furieuse d’entendre du bruit. Émotion si rare chez la poupée, émotion si rare à destination de Jenna. Jenna est chez elle ; bien plus que Dahlia ne pourrait le dire : elle ne paie aucun loyer, la pitié d’une amie, la générosité et l’amitié qu’elle affirme. Dahlia a mit très longtemps à le voir de cette manière ; mais sans cela, elle ignore comment elle aurait pu continuer ses études : sa bourse n’est pas suffisante pour subvenir à tous ses besoins.

Le pas léger, elle traverse l’appartement telle une furie, jusqu’à pénétrer la chambre de la brune volcanique ; son véritable opposé, son alter-égo, son âme soeur. Qu’importe ce qu’elle fabrique, elle est là, Dahlia, plantée face à elle : « Tu comptais m’en parler quand, Jenna ? » Elle a presque envie de se chamailler physiquement avec elle ; elle sait qu’elle a une manière très immature d’exprimer sa colère. Mais s’il y a bien une chose qu’elle sait ; c’est qu’elles sont incapable de se brouiller bien longtemps ; qu’elle est l’une des personnes qu’elle ne craint pas de perdre après toutes ces années ; la seule à qui elle dit toujours tout franchement. La seule et l’unique. « Vous êtes ensemble ? » qu’elle siffle, les sourcils froncés, la douleur et la colère sur le visage. « Ou tu passes juste du bon temps avec lui, en continuant d’ignorer qu’il est amoureux de toi ? » qu’elle rugit, en s’approchant sur le lit de la Trinidad pour attraper l’un de ses oreillers. Elle grimpe à genoux sur le lit avant de lui balancer avec toutes ses (maigres) forces, l’oreiller en pleine face. « Pouffiasse ! Même pas tu m’en parles ! » Elle donne un autre coup. « Quelle hoooonte, vraiment, Jenna Trinidad ! UNE HONTE ! » L’oreiller lui échappe des mains, prête à combattre un véritable démon. « Sur la convention de NYC de l’amitié, j’vous déclare pire meilleure amie ! »

Jenna, à moitié nue, tournoyait avec insouciance au centre de sa chambre, les notes vibrantes d'un morceau de reggaeton envahissant l'espace. Vêtue uniquement de sous-vêtements noirs en dentelle, semblable à une sirène des temps modernes, bercée par la musique, ignorant royalement le monde extérieur. Sur son bureau, l'écran de son ordinateur portable affichait noir, un verre de vin vide à ses côtés. La vipère avait profité de l'absence de Dahlia pour peaufiner le prochain article de l'Echo des Ombres, dont chaque mot était affûté comme une lame, prêt à découper la réputation d'un oligarche en fines tranches. La tâche terminée, les souris pouvaient danser.

Mais alors qu'elle s'abandonnait à un déhanché particulièrement audacieux, la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée. Dahlia, sa meilleure amie et colocataire, fit irruption telle une tempête en furie. Les yeux étincelants de colère, le visage figé dans une expression qui pourrait faire flétrir une rose en pleine floraison. Jenna, trop occupée à chanter faux, ne remarqua d’abord rien, poursuivant son spectacle improvisé. « Tu comptais m’en parler quand, Jenna ? » La question lui passa largement au-dessus du crâne : elle ne l'entendait même pas, simplement prête à s'emparer des mains de Dahlia et à la faire tournoyer. Cependant, le sourire éclatant de la Trinidad se volatilisa plus vite qu'un éclair dans la nuit lorsque son visage se confronta à la fureur de son âme soeur. Elle abaissa simplement le volume sonore de ses basses, là où l'éteindre aurait été plus avisé en une telle situation.

Jenna sentit une vague glaciale lui traverser la nuque lorsqu’elle croisa le regard de Dahlia. C’était un moment suspendu, un silence lourd d’un secret qui venait d’être éventé. Dahlia la fixait, ses yeux d’ordinaire pétillants désormais étrangement calmes, comme le silence inquiétant avant une tempête. Jenna lut tout dans ce regard :  la trahison, et ce mépris si subtil qu’il en était presque imperceptible, mais suffisamment brûlant pour que son cœur rate un battement. C’était comme si chaque sourire échangé, chaque mot prononcé par Julian dans l’obscurité, avait laissé des empreintes invisibles sur sa peau, et maintenant, Dahlia les voyait toutes, une par une, sans qu’un mot n’ait besoin d’être prononcé.
Pourtant, Jenna, maîtresse dans l'art du camouflage émotionnel, sentit son instinct reprendre le dessus. Elle redressa les épaules, balaya d'un geste souple une mèche de cheveux derrière son oreille et esquissa un sourire qui aurait pu passer pour sincère. Elle n'était pas du genre à se laisser déstabiliser, surtout pas par une situation qu'elle avait elle-même choisie. Enfin, façon de parler. Les battements affolés de son cœur ralentirent, et elle sentit la chaleur familière de sa superbe revenir, enveloppant son esprit comme telle armure. « Amor... »

Jenna n'eut jamais le loisir de calmer Dahlia.
Pas dans l'instant.

La sylphide n’eut pas le temps de réagir avant de se prendre l’oreiller en plein visage, le choc étouffé ne lui arrachant qu’un battement de cils. Même pas mal. Elle le laissa tomber à ses pieds, un sourire en coin menaçant de se transformer en rire alors qu’elle observait Dahlia, rouge de colère, lancer un second oreiller avec une fureur mal maîtrisée. Celui-ci échappa des mains tremblantes de sa meilleure amie, volant lamentablement à côté d’elle. Trop tardivement, Jenna comprit que ce n'était pas le moment de sourire, ni de plaisanter.

Elle posa le fessier sur son lit, levant les mains en signe de réédition. « ALRIGHT, DAL ! » s'exclama-t-elle, ne supportant pas, dans le fond, d'être la destinataire de cette lueur farouche qui léchait son corps telle de la lave prête à la dévorer. « C'est lui qui a commencé et puis... puis, je n'ai rien pu faire. » La vipère s'avouait vaincue, car elle n'avait strictement aucune explication tangible à fournir à Dahlia dans la mesure où elle-même, ne comprenait pas comment Julian et elle avaient pu en venir à là. C'était toujours ainsi, rien n'avait bougé entre eux malgré qu'elle avait presque ignoré Julian durant toute la durée de sa relation du Sanders avec Dahlia. « Tu sais bien que je ne l'aime pas et que je me fiche qu'il soit amoureux de moi. » D'ailleurs, ce n'était pas vrai. Enfin, elle ne savait même plus et ne voulait plus savoir, car Dahlia était devenue sacrément plus importante que Julian. Elle soupira, vaincue. « Tu sais que tu comptes plus que tout, Dal. Un mot de toi et j'arrête, mais le truc c'est qu'il vient sans cesse et que... j'arrive pas à dire non, comme si ce chien me droguait. »

Aide-moi, Dal.

« Amor… » que tu souffles, balayant si facilement tes émotions ; comme si elles n’étaient rien du tout. Elle adorerait, Dahlia, pouvoir faire ça et ce, n’importe quand et avec n’importe qui. Elle adorerait être aussi forte et se moquer royalement de ce que pensent les autres. Mais elle n’a pas le même équilibre, ne marche pas sur le même fil. Tout semble si précaire, surtout présentement. Les semaines s’enchaînent et il lui semble qu’une partie de sa vie se transforme en cendres ; fondations endommagées par le feu d’une confiance bafouée, encore et encore. « Arrête de m’appeler comme ça. » qu’elle assène, amère ; prête à ravaler ses larmes aux yeux. Dépitée d’être si insipide, si insignifiante dans vos vies ; d’avoir si peu d’importance pour ne pas méritée d’avoir un simple message, une discussion.

« C’est lui qui a commencé et puis… » Elle inspire Dahlia, incapable de ne pas ressentir cette sensation désagréable dans la poitrine. Toutes ces fois où elle avait l’impression qu’il ne regardait que Jenna, toutes ces fois où elle ne comprenait pas leurs distances ? Ça la ronge présentement, à se demander si cela ne s’était jamais arrêté entre vous : entre toi et lui. Mais elle n’ose même pas poser la question ; si crédule, si faible, si lâche de découvrir cette vérité. Si fatiguée d’être en colère, si fatiguée d’en vouloir à Julian, si fatiguée de devoir se méfier de tout le monde, de choisir à qui donner sa confiance. « … puis, je n’ai rien pu faire. » Le soupire est échappé. Elle lève les yeux au ciel, Dahlia. « Mais oui, bien sûr. Il était seul à vos sorties, seul pour t’embrasser, et tu es tombée par mégarde dans son lit ? Bien sûr oui… Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? » raille-t-elle, amère. Son regard quitte Jenna, Jenna et ses jolis yeux, son corps sublime. Elle soupire et se détourne, Dahlia, prête à abandonner. Incapable de supporter qu’on se moque davantage d’elle, surtout lorsque cela vient de toi, lorsque cela vient de lui. Elle qui n’a toujours fait que résumer sa vie à vous ; tous ses moments libres, à vous ; tous ses projets, à vous.

« Non, je n’en sais rien, figures-toi, Jenna ! » finit-elle par exploser, en entendant encore ces quelques mots riddicules. « Parce que tu ne m’en parles pas ! Parce qu’avant que je sois avec lui, vous passiez du temps ensemble ! Que du jour au lendemain vous ne vous parliez plus ! Et que maintenant… Maintenant, c’est partie de plus belle ! » Elle fronce les sourcils, incapable de mettre le doigt sur ce qui la gêne tant. « Je ne dis pas que vous n’en avez pas le droit, évidemment que vous faites ce que vous voulez, c’est juste que… » Elle inspire, le souffle tremblant. Etait-elle vraiment obligée d’expliquer ce qu’elle ressentait ? Elle détestait faire cela, Dahlia, si pudique. Ca lui semblait si logique, couler de source ; des choses si évidentes ! Pour elle, pour un tas d’autres personnes, mais pas pour Jenna et Julian. « Vous êtes tellement pas honnêtes entre vous, envers vous… et envers moi. Ca m’épuise, Jenna. J’en ai marre, vraiment. » La vérité, c’est qu’elle a envie de tirer un trait soudain sur lui, sur elle, par colère, par trahison, par sentiment d’abandon. Ca la bouffe, alors qu’elle se lève pour s’éloigner vers la porte. Parce qu’il y a ce manque de délicatesse évident, leur manque de franchise ; mais par dessus tout, ton mépris envers ses émotions à elle sur la situation et envers Jules ; cette rupture, qui a beau être il y a quelques semaines, quelques mois, rien n’est vraiment résolu.

« Non, je compte pas plus qu’un coup avec Sanders, visiblement. » qu’elle crache, amère et parfaitement sincère. Mais tes derniers mots la font sciller. Elle sent un vertige la prendre et elle s’arrête, posant un regard entre colère et inquiétude sur toi. « Quoi ? … Qu’il te droguait ? … Qu’est-ce que…. ? Jenna ? Il te drogue ? Ou juste tu résistes pas à ses charmes ? » La différence est drastique ; et l’air semble lui manquer. Il y a tellement de choses qu’elle ne t’a pas raconté pour préserver Jules, pour préserver vos amitiés, pour préserver tout le monde. Tout le monde sauf elle, sans doute.

Les mots de Dahlia frappaient Jenna avec la force brutale de l’acier, froids et acérés, s’enfonçant dans sa chair comme des éclats de verre. Chaque syllabe résonnait comme un coup, cruel, dénué de toute pitié. Jenna sentait une rage sourde monter en elle, mais plus encore, c'était la peur qui la rongaient, celle d’affronter ces vérités qu’elle avait si longtemps enterrées. Elle voulait se détourner, étouffer ces paroles venimeuses qui mettaient à nu ses faiblesses, mais elles la poursuivaient, implacables. La vérité la cernait, sans échappatoire, et dans ce moment glacial, elle comprenait que ces blessures ne guériraient pas. Autant ses maux que ceux de Julian représentaient des plaies béantes qu'ils ne savaient soigner.

Le doigt de Jenna se dressa, inquisiteur et preuve d'un formidable déni. “Ce que tu dis est absolument faux.” Alors, pourquoi ta voix devient-elle si aigüe, Trinidad ? souffla le Diable qui sommeillait en elle. “Julian et moi, c'est qu'une histoire de cul, jamais je n'aimerais un type pareil.” Les souvenirs que Jenna gardait de son histoire avec Julian Sanders étaient des ombres qui la hantaient, teintées d'une amertume familière. Dès l'enfance, leur relation avait été un jeu cruel, un mélange toxique de provocation et d’humiliation qui les rapprochait autant qu’elle les détruisait. Ils se cherchaient, se heurtaient, mais derrière les sarcasmes et les piques acérées, il y avait toujours ce soutien tacite, cette étrange loyauté que ni l’un ni l’autre n’avouait. L'attraction entre eux était si cosmique, qu'elle avait l'intime conviction que chacun d'eux vivait dans le corps de l'autre. Deux âmes liées, qui ne s’autoriseraient jamais à s’aimer pour la simple et bonne raison que leurs défauts respectifs étaient bien trop rédhibitoires pour l’autre.

“Non, je compte pas plus qu’un coup avec Sanders, visiblement.” L’obscurité s’infiltrait en Jenna, un mélange de tristesse et de rage muette. Dahlia, sa meilleure amie, celle qu’elle place au-dessus de tout, la soupçonnait de la reléguer à l’ombre pour un simple plan cul. L’injustice lui rongeait l’esprit, creusait un gouffre où se mêlaient amertume et douleur. Le doute s’installait, noir et corrosif. Comment pouvait-elle réparer ce que Dahlia semble déjà avoir condamné ? Car la vérité était qu’elle était la coupable, mais qu’elle trouvait incroyable que la Rowe pense qu’elle était de moindre importance.
Malgré cela, Dahlia parvenait encore à s’inquiéter pour elle. “Non, il ne m’a pas drogué.” Ainsi, Jenna confirmait qu’elle était simplement une formidable enflure. “Ce ne sont pas ses charmes, c’est…” Elle n’avait jamais trouvé un charme particulier à Julian. Ils se connaissaient depuis si longtemps que Jenna ne décelait presque aucune des qualités du jeune homme. D’ailleurs, aucun homme ne semblait avoir suffisamment de caractéristiques suffisantes pour lui plaire. Il n’y en avait que pour elle et ses pulsions. “Je perd le contrôle quand je suis seule dans la même pièce qu’un Julian célibataire, voilà.” finit-elle par lâcher abruptement, tentant de résumer la situation au mieux sans s’étendre. “Le mal était fait et je ne savais pas trop comment t’allais le prendre, du coup j’ai gardé ça avec moi jusqu’à que tu sembles prête à entendre ça. Mais non, Dal. Il n’est pas important et je ne l’ai pas revu seule à seule depuis cette fois.” Elle déglutit, s’approchant doucement de sa meilleure amie, ne souhaitant pas la brusquer ni la faire fuir davantage. “T’es mon monde. Des sexfriends, je peux m’en dégoter ailleurs. Là, maintenant, je peux le supprimer de ma vie sous tes yeux.”

« Julian et moi, c’est qu’une histoire de cul, jamais je n’aimerais un type pareil. » Dahlia hausse légèrement un sourcil et marmonne : « Tu sais très bien que c’est un mensonge. » Mots balancés ; une phrase qui pue la vérité. Que tu t’obstines à affirmer le contraire la dépasse. Mais elle finit par faire un léger signe négatif de la tête, Dahlia. Elle aimerait ne pas se sentir concernée ; et peut-être qu’elle ne le devrait pas. Mais comment réussir à se désengager émotionnellement ?

Dahlia écoute la suite, les sourcils légèrement froncés et un feu étrange dans les prunelles. « Jusqu’à ce que je sois prête à l’entendre ? » Elle avale sa salive, Dahlia. Difficilement. « Parce que ça a commencé quand ? » Si elle sort avec lui, capable de s’accrocher à son bras, c’est que le mal a pris racine avant. Elle expire un air brûlant ; d’une colère glaciale qu’elle s’autorise et exprime si rarement Dahlia. « Comment peux-tu dire une chose pareille, Jenna ? Comment tu peux essayer de te donner le bon rôle ? Me mentir pour me préserver ? » Elle a l’impression d’entendre sa défunte mère ; elle a l’impression encore de n’être qu’un insecte piégé dans le sucre ou la lumière ; incapable de véritablement se débâtre entre les doigts d’une manipulatrice.

« T’es mon monde. » Dahlia sent le tremblement dans sa lèvre ; pince sa bouche avec amertume. Elle déteste sentir son coeur trembler. Elle déteste se sentir sensible à ce genre de mots. Pourquoi devrait-elle rester ? Parce que tu l’aimes ? Cela ne suffit pas. Cela ne suffira jamais. Toujours condamnée à ce choix étrange ; incapable de se détacher totalement de ce genre de relations. Peut-être que c’est elle le problème. « Là, maintenant, je peux le supprimer de ma vie sous tes yeux. » Tu es prête à la rendre responsable ; à simplement obéir. Et la sensation est désagréable dans le ventre de Dahlia. Alors elle t’observe ; la colère trop rapidement avalée par la tristesse ; la fierté trop rapidement ténue. Et l’espoir englouti, lui aussi. « Tu sais, lorsque tu me disais que je méritais mieux que Julian ? » qu’elle souffle. Trop sérieuse. Le léger sourire (doux et triste) qui étire ses lèvres pâles. « Je crois que je mérite mieux que toi, aussi. » Et pourtant, Dahlia n’était qu’une fleur timide ; loin de la lumière, loin des regards. Si elle a appris à s’ouvrir (dans certaines circonstances) c’est parce que tu la tenais par la main ; toujours prête à l’entraîner plus loin et plus haut. Mais aujourd’hui, elle a la sensation que toi comme Julian, tu l’entraînes aussi plus loin et plus bas.

La langue de Jenna claqua suite aux affirmations de sa meilleure amie. “Parce que ça a commencé quand ?” La peur de se frictionner définitivement avec Dahlia prit place à un profond agacement face à cette question. Pourquoi autant d’interrogations alors que Jenna venait de répondre - même brièvement - à ces mêmes questions ?

Quand ça a commencé ? Bien avant que tu ne débarques dans nos vies, Rowe. Avant que je ne devienne une adulte, même. Puis t’es arrivée comme un éclat de soleil dans nos misérables existences et je t’ai octroyé plus que ma place. Je t’ai donné son corps et son coeur, parce que j’étais incapable d’en prendre soin et que tu ferais mieux pour lui que je ne le ferais jamais un jour. Seule une lumière peut faire émerger une ombre des ténèbres. Je ne suis pas une lumière, Dal. Je ne suis qu’une ombre parmi d’autres.

Le regard de Dahlia se confronta au sien et Jenna comprit que la partie était perdue d’avance pour aujourd’hui. Dahlia ne la croyait pas, pire encore, elle ripostait, comme si sa sincérité n’était qu’un mensonge grotesque. Le poids de l’injustice écrasait sa gorge, l’air devenait trop épais, sans doute parce qu’elle ne comprenait pas en quoi cela devait être si dramatique. Julian n’avait jamais été un sujet entre elles et de plus, de son vivant, jamais Jenna n’aurait couché avec celui-ci s’il était encore en couple avec sa propre meilleure amie. “Tu sais, lorsque tu disais que je méritais mieux que Julian ?” La brune éprouva l’envie de s’enfuir afin de ne pas entendre la suite, sauf qu’elle pouvait être bien plus brave que ça et s’autoflageller.

“Je crois que je mérite mieux que toi, aussi.”

Sous le choc, les yeux de Jenna s’écarquillèrent.

Et nos rires, nos discussions enflammées, nos silences paisibles, notre vie commune, nos voyages, ma générosité, nos folies, tout cela ne compte plus ?

Mais le cœur de Jenna ne saignait jamais publiquement, blindé depuis trop longtemps contre les effluves d’émotions.

“Je ne sais pas combien de fois je devrais te répéter que je n’ai jamais touché Julian lorsque vous étiez ensemble.” martela-t-elle, la mâchoire serrée, résistant à l’envie de lui jeter son verre d’eau vide au visage. Elle se tenait là, figée, les poings serrés, la rage bouillonnant sous sa peau. L'envie de riposter, de la blesser plus violemment encore, lui traversa l'esprit avec une brutalité fulgurante. Elle pouvait, d'une phrase, réduire Dahlia en cendres, lui briser l'âme d'un revers de mots acérés. Mais quelque chose la retint, un goût amer sur la langue, cette hésitation entre vengeance et retenue, entre fureur et abandon. Peut-être avait-elle conscience que son tempérament emporté lui ferait perdre définitivement Dahlia si elle se soumettait à ses pulsions.

“Je l’ai toujours poussé vers toi, pourquoi l’aurais-je repris alors qu’il était avec toi ? C’est quelque part encore le cas. Julian n’a rien à donner, mais tout à reprendre. Il n’est rien de plus qu’un jouet à mes yeux et tu devrais le considérer sous le même œil si tu tiens à ta santé mentale.” Ses mots étaient secs, dénués de sentiments et dominés par sa propre logique, qu’elle jugeait implacable. “Si tu veux faire de Julien un sujet entre nous, vas-y donc. Si tu penses que ton existence était meilleure sans moi, retourne donc d’où tu viens.” Frôlant le mépris, Jenna se fraya un chemin vers le couloir, résistant à l’envie de pleurer et ravalant ses larmes avec rage.